…démultiplie les rencontres
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, le fait d’évoluer lentement, avec des montures atypiques et une allure qui dénote dans les paysages locaux non touristiques, attire la bienveillance, la gentillesse et une curiosité naturelle des gens à notre égard.
Nous avons souvent eu droit à de nombreux gestes de saluts, timides ou extravertis selon le coin. Aucun regard de travers ni d’agressivité.
Pourquoi ? Sommes-nous chanceux ? Peut-être. Néanmoins, à l’écoute de témoignages d’autres cyclotouristes, tout du moins plus souvent de sexe masculins nous devons le reconnaître, ce constat est partagé et il ne s’agit pas d’une affaire de chance, plutôt de sourire naturel que le voyage à vélo confère.
A l’inverse, si nous voyagions en voiture ou même à moto, cela se passerait sans aucun doute différemment. Car voyager à vélo revient à progresser lentement et laisser le temps d’être repéré et observé par les gens, de se faire accepter dans le décor en quelques sortes.
Nous avons été régulièrement invités à marquer une pause pour faire un brin de causette, pour prendre le thé ou manger un bout, pour quelques fois immortaliser la rencontre en photo. Cela permet aux gens de nous poser quelques questions et de satisfaire leur curiosité. A quelle occasion vivons-nous ce genre de rencontres fortuites lorsque nous nous déplaçons en autobus ? Cela arrive, c’est certain, tout aussi certain que cela arrive rarement.
Ces moments de rencontres plus ou moins éphémères, certes parfois limités par la barrière de la langue mais jamais pauvres en échanges de sourires, mimes et expressions du visage, nous ont permis de mieux nous immerger au cœur d’un pays, de mieux en découvrir toutes les nuances et surtout, de faire vraiment connaissance avec ses habitants. Nos guides du routard, c'étaient nos rencontres.
A vélo, les gens sont accessibles et nous sommes accessibles. Mais encore plus surprenant, on se sent même rapidement adoptés, on devient en l’espace de quelques heures, amis. La bienveillance se lit dans les regards et dans les gestes. Suite à certaines de ces rencontres de bord de route, nous nous sommes vus invités à rester manger ou dormir. Grâce à cela et surtout à eux, nous avons appris à aller à la rencontre de l’autre, à aller taper aux portes pour demander l’hospitalité minimale du jardin sécure, et nous avons reçu tellement plus que cela. Définitivement, voyager longtemps et lentement à travers le monde, permet de faire la rencontre de personnes simples, généreuses, la main sur le cœur, souvent accueillantes et donnant tout ce qu'elles ont sans aucune pensée secondaire.
Et deux faits sont certains et importants à préciser : cette sensation d’accueil sincère s’est faite toujours plus prégnante à mesure que nous nous éloignions de l’Europe de l’Ouest tout en devenant moins spontanée et éprise de gentillesse dès lors que nous évoluions en zones touristiques.
Finalement, nous ne pouvons nous empêcher de penser, qu’en parcourant des régions non décrites dans les guides touristiques tels que Lonely Planet, nos rencontres, nos échanges avec les gens, nos découvertes sont plus fortes, plus réelles, plus intenses. Ces dizaines de rencontres incroyables nous n’en avions jamais fait l’expérience, car auparavant, nous ne sortions que rarement et difficilement des sentiers battus par…le Routard.
Ce que nous disons là n’est certes pas nouveau car déjà Pythagore nous invitait à « délaisser les grandes routes, prendre les sentiers ! ». La seule différence (pour nous) est que nous avons vécu et expérimenté par nous même cette maxime. La lire et l’accepter comme potentiellement vraie est une chose, mais la vivre tous les jours en est réellement une autre.
Par le passé, nous n’allions pas vers ces petits sentiers, par manque de temps, de volonté, mais aussi par crainte. Par ce « petit » bilan nous tenons à dire qu’en réalité ni vous, ni nous ne manquons de tout cela. Le temps est là , il est chaque seconde, il nous suffit simplement de le prendre ce temps ! En avoir conscience c’est le départ, le prendre c’est la volonté. La crainte alors, disparaît.
Parmi ces rencontre certaines ont une saveur particlulière...
Il arrive parfois en relevant la tête du guidon, d’apercevoir à l’horizon une, deux ou trois silhouettes similaires à la sienne, à savoir deux roues, un guidon, un barda pas possible et une personne avec une sacrée dégaine, juché là -dessus. Selon que l’on soit sur les hauts plateaux du Pamir aux confins du Tadjikistan, ou au centre d’Istanbul, carrefour entre Europe et Asie où les cyclistes en vadrouille se retrouvent parfois en nombre, cela n’apporte pas la même dose d’adrénaline, mais cela a toujours un charme fou.
Sous peu que les cyclo en approche, parlent un peu anglais, ce qui est généralement le cas, on sait que l’on va pouvoir discuter avec quelqu’un d’autre que son acolyte, échanger sur les ressentis de chacun, se donner quelques tuyaux, s’indiquer les bons endroits où dormir, etc. C’est alors que les questions comme que faites-vous dans la vie et comment vous appelez-vous, disparaissent…
En quelques sortes, ces rares rencontres – nous n’avons pas l’impression non plus d’avoir croisé 1000 personnes à vélo - sont l’occasion de souffler un peu, « de faire pif ».
Les discussions sont souvent animées, enthousiastes dans la mesure où chacun se dit que l’autre le comprend parfaitement puisqu’il vit peu ou prou la même chose ! On assiste alors généralement à un doux mélange de dialogues de sourds, chacun y allant de ses anecdotes, et d’échanges efficaces de bons procédés. Enfin, chacun s’encourage, donne à l’autre ses coordonnées, repart dans sa direction ou, parfois, fait un petit bout de route avec l’autre.
Garance, alias Billy, les guidons guedins, Canan, Fred et Brigitte ou encore Cas l’anglais. Avec ceux-là , nous avons dépassé la simple discussion amicale de bord de route et avons partagé des moments incroyables !
Quelques bémols de pédale
Le sentiment un peu mélancolique de mal du pays et des proches, la lassitude suscitée par les limites d’une vie 24h sur 24h à deux, quand bien même nous sommes deux amis d’enfance, et la sensation de ne jamais se sentir vraiment chez soi, y compris dans notre ‘chère’ tente, sont à compter parmi les inconvénients connus de ce type de voyage.
Le fait d'expérimenter intensément beaucoup de choses et cela presque tous les jours, a aussi été pour nous une source de difficulté, notamment en terme de communication et de partage avec les proches. Comment raconter, comment rendre vivant ce que l'on vit et ce que l'on comprend comment partager au delà des courts mots et des quelqes minutes de skype alouées ?
La frustration et les difficultés hors du voyage commencent alors. Comment rester motivés à narrer en quelques textos ou quelques minutes de discussions virtuelles toute l'intensité et la densités des surprises cumulées sur des dizaines de jours, eux bien réels ? Comment transmettre les odeurs, les ressentis, le coeur qui s'accélère dans telle ou telle situation, le bien être, l'agacement, les doutes, les sourirs des gens, les goûts, les fou-rires, le froid, ou tout simplement comment faire comprendre les galères 10 jours plus tard, en 30 min de Wifi alors que l'on est gentillement hébergés et attendus pour dîner ? Souvent on abandonne, on se tait car on sait que l'émotion ne passe pas dans les câbles cuivrés. On se frustre, on s'en veut et on cumule du malaitre, punition sans doute méritée pour s'être octroyés le droit d'expérimenter égoïstement le présent.
La peur de nous retrouver coupés des notres, de ne pas être compris et surtout de ne pas parvenir à partager les émotions et sentiments vécus sont des sujets non prévus qui nous ont beaucoup préoccupés et des batailles menées desquelles nous ne sommes pas forcément sortis indemnes.
En parallèle, la frustration née du manque de temps vraiment libre pour lire, écrire, ne rien faire, ainsi que celle de se sentir emprisonnés au sein des réseaux routiers sans pouvoir s’en échapper facilement sont deux ressentiments que nous nourrissons par moments au cours du voyage et que nous n’avions pas anticipé auparavant.
Si les réseaux routiers de France ainsi que des différents pays européens traversés sont suffisamment denses pour permettre de rallier un point B depuis un point A en empruntant de petites routes secondaires loin du trafic, ce n’est plus la même histoire une fois quitté la riche Europe.
Dans des pays comme l’Ouzbékistan ou l’Azerbaïdjan, en vue de raller un point B depuis le A, il n’y a, le plus souvent, plus qu’une seule route.
Le fait de pédaler plusieurs jours durant sur de grandes nationales, desquelles il est impossible de s’échapper, incessamment doublés par des camions nous crachant leur fumées d’échappement au museau, frôlés par des bolides, devant éviter tous les petits débris et déchets du bord de chaussée, auquel nous sommes cantonnés, susceptibles d’occasionner une crevaison…et bien cela fatigue les nerfs, encrasse les narines de crottes de nez, assome la lucidité et lasse le regard.
Ce constat attire alors encore une fois notre attention vers le voyage à pieds (ou en fat bike) qui permet davantage l’évolution hors des axes de communication majeurs, à travers champs, dans la brousse, pour s’épargner du gris du bitume qui finit par décevoir et rappelle un peu trop constamment les écueils d’une mondialisation effrénée.
Même si, avant de partir, nous aimons tous les deux les vacances permettant l’immersion dans la nature, les joies du camping et de la randonnée, il est certain que nous étions également des habitués, n’ayant que quelques semaines de vacances annuelles, des déplacements en train, en voiture ou en avion. Et nos visites et découvertes rayonnaient bien souvent autour de grandes capitales ou de beaux sites touristiques, naturels ou non.
Par ailleurs, nous étions loin d’être des inconditionnels du cyclo et encore moins de bons mécaniciens. Nous roulions de temps à autres pour nous rendre au travail par exemple, le plus souvent avec un vélib’, mais jamais jusqu’à parcourir plusieurs centaines de kilomètres munis de 35kg de matos.
Pourtant, c’est ce que nous expérimentons une première fois en Avril 2013 avec un périple de dix jours à vélo entre Paris et Berlin, avec comme but affiché celui de nous préparer à un défi de plus grande envergure. C’est alors un peu l’aventure, même si, au cours de ce ‘petit’ périple européen, nous sommes encore loin d’entrevoir le mode de vie que nous avons découvert en roulant de France jusqu’en Mongolie (en passant par la Chine un peu quand même).
Désormais, ayant eu la chance de concrétiser ce voyage à vélo, lent, continu, autorisant une évolution et des découvertes complètes entre les habituelles zones touristiques, nous pensons être en mesure de parler objectivement de ce type de périple et d’en apprécier tous les avantages par rapport au voyage plus classique, plus rapide.
« Bon ok, c’est bien beau tout ça et alors ? Venez-en au fait ! »
Et bien…pour reprendre la citation d’un cycliste italien, croisé en Géorgie :
« It’s fucking addictive, man ! »
Traduction : « c’est une (putin de) drogue ! »
De la découverte du monde à la quête de soi
C’est bien simple, les sensations ressenties en voyage à vélo sont JUSTE vraiment exaltantes.
Nous avons ressenti cette sensation très tôt dans le voyage. Après le départ, nous nous sommes rapidement sentis proches de la nature, à l’écoute de l’environnement immédiat mais parallèlement, dans l’effort physique, nous nous sommes mis ensuite à nous recentrer également sur nous-même, chacun se focalisant sur soi-même et sur l’écoute de son corps.
Puis, avec le temps, ce sont les préoccupations matérielles, les soucis habituels et les pensées anticipatives inutiles qui s’estompent jusqu’à s’effacer presque entièrement. Mais elles ne disparaissent pas pour rien : elles laissent place aux actions à entreprendre immédiatement ou dans une temporalité proche. Ces dernières deviennent les problématiques majeures quotidiennes, elles envahissent nos pensées à chaque instant de la journée, alors qu’elles sont précisément secondaires en temps normal :
"A-t-on assez de réserve d’eau ?" / "A-t-on suffisamment de quoi manger pour les 80 prochains kilomètres sans âme qui vive ?" / "Comment s’habille-t-on compte tenu de la météo actuelle mais aussi après avoir appri de l’évolution de cette dernière depuis 10 jours ?" / "Comment dit-on bonjour en russe déjà ?" / "Quelle route prendre au niveau de cette bifurcation ?" / "Va-t-on s’exploser les fesses sur ce chemin bien cabossé et ne risquons nous pas de rester bloqué par la neige ?" / "Peut-on faire confiance à cette personne ?" / "Peut-on se permettre d’établir le camp de nuit dans ce champ, visible de la route, mais beaucoup moins que tous les autres champs déjà croisés ?" / "Est-ce bien prudent de faire la pause-déjeuner sous cet abri bus à la vue de tous ?" / "Cette voiture ne va-t-elle pas nous raser de bien trop près, auquel cas je ferais mieux de ne pas lâcher la main droite du guidon dans l’optique de me moucher à ce moment-là ?" / "Va-t-on trouver suffisamment de vivres si l’on fait les courses ici, ne vaut-il pas mieux attendre de croiser une épicerie plus importante au risque de ne pas en croiser du tout ?" / "Le chien calme que nous voyons au loin va-t-il subitement se mettre à vouloir nous croquer la jambe lorsqu’il nous aura aperçus ?" / "Comment ces gens vont-ils réagir lorsque nous allons leur demander notre chemin ?" / "Peut-on leur demander quelques litres d’eau potable ?" / "Cette eau sera-t-elle vraiment potable ?" / "Est-ce bien raisonnable de continuer de pédaler à cette heure tardive ?" ...
L'omniprésence de ces questions a rapidement habitué nos esprits à plonger sans retenue dans l’intensité du moment présent. Et cela fait un bien fou !
Dans le vif de l'action nous n’avons pas souvent le temps de tergiverser. Les décisions doivent être prises avec discernement et rapidement. On l’apprend très vite, mais mieux que cela, on y prend goût !
Comme disait Châteaubriand, « - les plaisirs naissent de contrastes ». Cet adage, ce n’est pas du masochisme. Au contraire, vivre chaque jour son lot de situations tout en contraste permet de créer du relief, de l’âpreté, de l’imprévu à l’aventure, chose que nous avons finie par aimer et par rechercher.
Et le voyage à vélo dans des régions méconnues permet cela car il nous positionne dans des situations non voulues, non choisies mais pour lesquelles on ne peut rien faire ou peu.
Nous avons vite compris que l'on doit se plier au contexte, à la météo, au terrain, aux animaux, aux gens qui nous entourent, à leur notion du temps, à leurs coutumes, à leurs habitudes alimentaires évidemment. Même si l’on s’y accoutume relativement bien la plupart du temps, de nombreuses situations obligent à serrer les dents, mais c'est justement ce qui finit par rendre ces moments mémorables. En voyage de ce type, dans des contrées lointaines et loin des sentiers battus, on doit en fait constamment s’adapter. La conséquence directe est que l'on finit par prendre la pire des situations, avec le sourire ! Chose que l'’on n’a précisément jamais pour habitude de faire en France où rien ne doit être vu comme une contrainte et où tout doit être facile (car facilité = progrès, selon TF1).
In fine, à vélo nous nous retrouvons à tester notre degré d’accoutumance et notre capacité à rester serein dans tout type de situation. Progressivement, nous percevons que nos propres aptitudes à nous plonger dans l’instant présent augmentent. Cela permet finalement de développer de nouveaux modes de pensées, plus instinctifs, et d’en apprendre beaucoup sur soi-même.
La première manifestation de cela se fait ressentir dès les premiers mois : c'est étrange d'ailleurs, car on s'en aperçoit concrètement puisqu'il semble que nous nous mettons à mieux voir... Mais pas seulement, à mieux entendre, à mieux percevoir les moindres évolutions de notre environnement. Nos cinq sens apprennent à être en éveil permanent, ils se perfectionnent pour finir par devenir des alliés sur qui compter ! Et puis, à un moment donné, c’est difficile à expliquer, mais le changement apparaît, l’instinct est écouté et il prend même le dessus : on analyse vraiment rapidement les situations, nous sommes en mesure de comprendre ce que les gens peuvent dire, intuitivement, sans pourtant parler leur langue…C'est ainsi que nous constatons tous deux et à peu près à la même période du voyage, en Albanie, que nous développons une certaine facilité à déceler les « non-dits », les petits gestes chez les gens, souvent de bienveillance, rarement d’agacement, à capter les bruits de la nature qui dénotent de l’ambiance sonore du moment...
La question se pose alors : ne sommes-nous pas en train de découvrir nos réelles capacités ? Ou bien sommes-nous simplement en train de revenir à l’état d’animal ?
C'est ainsi que l'attention portée sur l’extérieur, s’aiguise jusqu’à parvenir à l’écoute de son propre corps qui glisse naturellement vers l’introspection, l’écoute de soi en totalité. Le voyage géographique, la découverte d’ailleurs et d’autrui deviennent une exploration interne, une véritable découverte de soi.
C’est alors qu' « on ne peut plus se cacher longtemps derrière ses problèmes, ses malheurs, ses faiblesses, ses préventions pour se cacher à soi-même » (A Poussin)
« Le courage croît en osant, la peur en hésitant »
La conséquence directe de cela est qu’à mesure que nous nous immergeons complètement dans la diversité étrangement grande du présent, les sentiments de peur se dissipent peu à peu. Une meilleure connaissance de nos limites respectives et une meilleure attention à l’égard du monde qui nous entoure, permettent d’accroître notre faculté à discerner les situations réellement risquées des peurs infondées. Non pas que nous prenons aveuglément confiance en nous (ce serait là , la meilleure façon de nous mettre en danger), mais nous réalisons que les peurs se révèlent bien souvent être le fruit de préjugés ou de mythes erronés transmis de mille manières et amplifiés par l’emballement de nos esprits imaginatifs.
Ce qui nous ramène à la réalité est simplement le fait de savoir que nous sommes prudents, de jauger les risques et de nous adapter aux moyens fournis par la situation du moment. Ainsi, les sentiments de crainte laissent progressivement place à une sérénité normale, seulement interrompue par quelques stress ponctuels. Mais, cette peur initiale, vague et diffuse, à l’égard de l’inconnu vers lequel nous roulons, cette peur-là , elle, disparait rapidement et ne revient pas.
La découverte dans l’effort : le bonheur
Ce voyage pédalopropulsé n’avait nullement pour vocation de nous transformer ni en moine tibétain réalisant un pèlerinage dans de rudes souffrances physiques, ni en fervent chiite célébrant l’Achoura en se flagellant et encore moins en dignes héritiers du philosophe antique vivant dans son tonneau, Diogène de Sinope.
Pourtant, au fur et à mesure des coups de pédales donnés dans les situations compliquées, nous comprenons et vivons une émotion récurrente assez simple. Cette émotion vive c'est le plaisir intense qui naît de tout effort enduré pour atteindre un but, de tout obstacle dépassé dans la difficulté, voire, l’on ose employer le terme, de toute souffrance choisie pour atteindre un objectif !
Quel est votre ressenti après vous être délecté en 15 minutes chrono d’un menu maxi best of au McDo? Pas terrible non ? C’était pourtant simple et facile et c’était ce que vous vouliez juste avant de le dévorer, non ?
Quel est votre ressenti après avoir effectué 1h de natation dans une eau à 22°C ? Pas trop mal non ? Pourtant juste avant d'aller nager dans le froid vous étiez au chaud chez vous à pouvoir simplement rester sous la couette et c’était alors bien peu motivant d’aller se "geler les miches" à faire des longueurs en maillot ridicule dans une eau froide.
Pourquoi est ce qu'à la fin d'une de ces situations vous êtes bien et pas dans l'autre ? Nous pensons que la différence tient dans le fait d'en chier !
Dans un cas vous avez fournit de efforts (physiques et/ou psychologiques) pas forcémeent vus comme faciles à réaliser au départ mais vous l'avez fait ; tandis que dans l'autre situation : vous avez fait tout l'inverse.
Le fait de nous lancer dans ce défi nous a fait bien plus voyager que « voyager ». En particulier, nous sommes sortis de notre zone habituelle de confort. Cela nous a entraîné dans un quotidien plus sobre, plus rustique certes, mais beaucoup plus simple et plus vrai.
Nous avons vécu des situations parfois difficiles physiquement et moralement, mais qui débouchent toujours sur des moments de bonheur, de joies intenses. Plus la situation est compliquée et difficile à endurer, plus le simple fait d’en sortir devient une réelle source de joie.
Pour les fans des mises en équation, ce n’est pas compliqué :
La quantité brute de bonheur contenue dans un moment donné est inversement proportionnelle à la facilité cumulée des actions entreprises pour parvenir à ce même moment.
("On encadre en rouge et on apprend par coeur les enfants !")
Pédaler par zéro degré Celsius, avec le vent de face et quelques flocons glacés frappant le visage comme des pointes, pendant plusieurs jours, pour finalement atteindre la capitale d’Azerbaïdjan, gravir des cols au beau milieu des Alpes ou du Tadjikistan, en souffrant des cuisses et des boutons sur les fesses pour pouvoir finalement profiter de la beauté du panorama à X milliers de mètre d'altitude, manger sous la pluie et le vent le peu que l’on a au moment où l’on en a besoin tout en en conservant pour plus tard, "au cas où", pour finalement savourer en fin de journée un café turc au chaud tout près du poêle, dormir en tente pendant plusieurs semaines et apprécier ensuite le simple confort d’une pièce non chauffée à l’abris de la neige, ne pas se laver pendant des jours pour se délecter de prendre une bonne douche...froide au tuyau d'arrosage en se disant "punaise , on a d'la chance !"
S’extraire d’une galère aux confins du monde est un plaisir d’une intensité telle, que l’arrivée motorisée dans un paysage de carte postale n'a pour nous aujourd'hui plus beaucoup de sens.
Patienter autour d’un thé avec quelques villageois turcs au café local à s'échanger des noisettes alors que, 20 minutes plus tôt nous étions dehors au milieu d'un hiver blanc qui bat son plein est un souvenir mémorable ! Et à l'opposé, des excursions dans des villes classées UNESCO, parmi une foule de touristes, une perche à selfie à la main, ne nous laisse que des souvenirs fades, creux, voire tristes.
A vélo, toute situation difficile agit comme un révélateur, un exhausteur de sensations. Tout problème devient quelque chose de potentiellement positif. Toute situation difficile endurée est synonyme de possibilités belles et immenses pour apprendre, pour s’épanouir, pour rencontrer, écouter et partager!
Ainsi, grâce à ce voyage, nous réalisons, que, galérer, c’est vivre ! A méditer bien entendu, car qui, aujourd’hui, ne galère pas plus que les clochards, ou que ces réfugiés syriens qui endurent chaque jours plus de situations affreuses que nous n’en aurons sans doute jamais dans toute notre vie ?
Voyager lentement
Ces ressentis qui consistent à vivre plus fortement l’instant présent, à être à la fois plus à l’écoute du monde et de soi, et l’apprentissage de la patience douloureusement récompensée, se sont accompagnés d’un questionnement relatif à la perception du temps.
Comment cela se fait-il qu’au bout de deux petits mois de voyage, nous avions déjà l’impression d’avoir passé une année sur les routes ?
Et encore plus étrange que cela, nous faisons ensuite le constat que nous sommes capables de nous remémorer chaque journée du voyage ! C’est cool oui, mais forcément nous ne pouvons nous empêcher de comparer…car c'est bien la première fois de notre vie que…nous nous rappelons sans effort (cette fois-ci) de notre vie ? Ce constat, marrant au départ, laisse place à un malaise interne : on réalise que son esprit enregistre tout sans qu'on le lui demande mais que lorsqu'on vit chez nous, ça n'arrive jamais.
Autant, il nous était difficile parfois savoir quel jour de la semaine nous étions autant ce petit jeu de devinette qui consiste à se demander l’un à l’autre où a-t-on mangé le midi à telle date, où dormions-nous à telle autre et ce, que la date se situe en Septembre ou en Mars, était tout à fait possible. Ce constat est une surprise vraiment incroyable du voyage !
Voyager longtemps et ne jamais vivre le même quotidien doivent sans doute expliquer cette impression de dilatation du temps et d’un meilleur souvenir du temps passé. Mais le fait que le périple n'ait été finalement qu’un lent et long parcours linéaire sans discontinuité, avec pour chaque date, tout un parcours vécu et enduré, facilite aussi et sans aucun doute, ce travail de mémoire.
Le fait d'avoir comparé cet aspect avec d’autres voyageurs "longs" mais "rapides" a fini de nous convaincre du lien entre lenteur diffcile d'éxécution et intensité temporelle de la seconde vécue.
Cela est peu être étrange mais c'est ce que nous avons expérimenté. Plus le déplacement est lent plus la vie est intense, et plus le temps semble se dilater.
Etant déjà à moitié persuadés de cela avant le départ, suite à plusieurs discussions avec plus expérimentés, nous en sommes maintenant intimement convaincus. C'est aussi pour cela que le voyage motorisé ne nous attire plus réellemeent désormais. Il n’y a pas d’hésitation possible entre parcourir le monde lentement ou bien en transports modernes.
Un voyage plus classique peut généralement se résumer à un point de départ, un point d’arrivée et des pérégrinations aux alentours de ce dernier. La découverte des lieux entre les deux points est limitée voire impossible. C’est tout l’inverse grâce au voyage à vélo. On part d’un endroit donné le matin. On ne sait ni où l’on se trouvera le soir, ni ce que l’on vivra en chemin. Cela est parfois très long, parfois dur, parfois génialissime mais à chaque fois, il se passe une quantité phénoménale d’événements, à la fois en nombre, en contraste, et en intensité.
Chaque journée comporte sa forte dose d’imprévus, d’émotions fortes, de stress, de patience, de risques, de découvertes, d’émerveillement, de déceptions, de négociations, d’engueulades et bien sûr, ce qui fait tout l’attrait d’un voyage itinérant, de nouvelles rencontres, de sourires, d’encouragements et de discussions impromptues.
Bref, en voyage à vélo, il est impossible de prévoir, et encore moins de planifier ce dont sera faite la journée. C’est ce qui en fait tout l'intérêt !
Il est clair que désormais nous pensons que voyager à pied doit encore démultiplier cette intensité que nous avons pu apercevoir.
VOYAGER A VELO ...
..." C'EST PAS TROP CHIANT ?"
EN GUISE DE CONCLUSION
En définitive, le voyage à vélo est lent, difficile, intense, source de rencontres.
Tout ce qui s’est passé à vélo fait qu'il se passe désormais un certain nombre de choses dans nos caboches, à aucun moment nous pensions, avant de partir, expérimenter tout cela. Nous n’avions aucune quête existentielle à mener, enfin pas consciemment en tout cas…mais en fait ça vient tout seul.
Nous en serons marqués et pour le mieux. Cette expérience a changé nos regards, nos façons de voir le monde de l’analyser de le comprendre.
Nous ne connaissons pas l’avenir et ne voulons pas le connaître mais on peut affirmer sans aucune crainte que cette aventure « Quimper – Pékin » aura un retentissement énorme sur nos vies respectives et sur notre façon de les mener !
Pour résumer, comme disait l'autre :
« L’aventure est un désagrément considéré positivement, tandis qu’un désagrément est une aventure considérée négativement ».
Le voyage à vélo augmente l’un et l’autre.