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ARCHITECTURE VERNACULAIRE : PREMIERS ENSEIGNEMENTS

Témoin concret des richesses culturelles, de la variété et de la qualité des savoir-faire, mais aussi de l’intelligence transmise au fil du temps, le patrimoine architectural est pourtant de plus en plus dénigré alors même qu’il constitue une des réponses à la question très actuelle :


" Comment construire et aménager de façon durable ? "

Nos voyages respectifs - de France jusqu’en Mongolie à vélo pour Simon et Vincent, entre Océanie, Asie du Sud-est et Amérique du Sud pour Evan - nous ont permis de découvrir un bel aperçu de la diversité des architectures traditionnelles que recèle notre monde.

Ferme en Slovénie.



RICHESSE DES FORMES


Au fil de nos périples, c’est d’abord l’aspect extérieur des habitats qui retient nos regards de voyageurs. Relations entre bâtisses et topologie locale, volumes, élévation, épaisseur et caractéristiques des parois, forme des toitures et des fenêtres sont autant de caractéristiques à repérer.

Progressivement, relier ces dernières aux contraintes locales devient pour nous un exercice du quotidien, peu aisé mais passionnant. Derrière leur apparente simplicité, se dévoile alors l’infini diversité et richesse des formes. Ainsi, les toitures, qui donnent toute la silhouette d’un habitat, les fondations mais aussi, les formes urbaines se révèlent le plus souvent étroitement corrélées à la météo locale.


A Batad, aux Philippines, les formidables averses mais aussi les chaleurs extrêmes donnent naissance à de généreux porte-à-faux protégeant le bâti et créant des espaces de vie.

A l’inverse, dans le Sud de l’Iran sec et aride, dans la ville de Yazd, toitures plates, tours à vent, ainsi que hauts murs et ruelles étroites sont là pour protéger les habitants de la chaleur. Cette ville millénaire, aux confins du désert, offre à parcourir de multiples rues couvertes et souterrains où l’on peut se retrancher aux heures les plus chaudes.

Dans les Alpes autrichiennes avec de fortes chutes de neiges, en Turquie et dans le Caucase, mais également à Sumatra en Indonésie, les habitants se protègent de l’humidité et des remontées capillaires, en ménageant leurs habitats sur de hautes fondations en pierres, sur un rez-de-chaussée non habité, ou encore sur pilotis.




Les villes et villages des plaines alpines sont constituées de grandes maisons mitoyennes, rassemblant souvent plusieurs familles, dans le but de minimiser les déperditions de chaleur vers l'extérieur.



Mais au-delà des formes, nous avons tenté également de comprendre les bâtiments depuis l’intérieur. Au sein d'une ferme alpine ou de la yourte kirghize toutes deux organisées autour du poêle central, de la rumah Sasak et ses espaces hommes/femmes bien délimités, ou bien encore de la maison iranienne aux multiples pièces saisonnières, les agencements intérieurs témoignent d’une histoire, d'une culture, d’une façon de vivre des habitants et révèlent parfois d’une ingénieuse adaptation aux rigueurs climatiques.



Intérieurs d'une yourte kirghize de bord de route faisant ici office de cantine / intérieurs de la rumah Sasak d'Indonésie.



DU BON USAGE DES MATERIAUX LOCAUX


La compréhension des habitats vernaculaires passe évidemment par la lecture des matériaux mis en œuvre. En portant parfois simplement notre regard sur l’environnement immédiat d’un habitat étudié, nous apercevons les matériaux employés à leur état brut. Les liens étroits entre les constructions anciennes et la nature, ainsi que l’harmonie qui en découle, nous émerveillent.


Dans les Alpes, le bois issu des forêts de sapins est employé partout dans la construction, l'ameublement, le chauffage.



Les carrières de tuffeau en bord de Loire pour certaines reconvertis en habitats troglodytes, les briques de tourbes en Bolivie, la lauze des toitures en Albanie, l’épierrement des champs de vignes en Croatie, la terre autour des habitations à Chipayas, les bambous brésiliens servant aux structures des constructions, ou encore les moutons dont la laine constituant un élément clefs des yourtes kirghizes et mongoles (feutre, cordages) : Tous ces exemples ingénieux prouvent à quel point l'emploi de matériaux naturels situés dans l'environnement immédiat s'avère plein de bon sens.



Une haies de bois tressés en Azerbaïdjan : les barrières de métal ou plastique serait-elles mieux intégrées que cela ?

A l’inverse, les matériaux qui parfois font défaut dans l’environnement, « brillent » alors par leur absence dans les bâtiments.

Le manque de bois sur les plaines d’altitude en Bolivie a obligé les habitants à concevoir leurs abris sans charpente, engendrant des formes très originales rappelant étrangement les termitières.




DE L’IMPORTANCE DES SAVOIR-FAIRE


Dans les régions que nous avons traversées, l'homme ne tente pas de se défaire de la nature qui l'entoure ; il s’en inspire et collabore avec elle, s’en faisant une alliée et composant avec les règles qu’elle lui dicte. Le patrimoine bâti témoigne des savoir-faire déployés par les hommes pour construire avec le jeu de contraintes locales.



Les toitures des rumah batak indonésiennes reposant sur un assemblage complexe de pièces préfabriquées, dépourvu du moindre lien, les maisons chipayas, affichant un ratio temps de construction/durée de vie pour le moins impressionnant de 5 jours pour 20 à 30 ans, témoignent du génie de l’homme.


La reproduction historique de maisons rustiques à partir du matériau à proximité immédiate, le roseau, dans le delta Nastos en Grèce / La réalisation de parements de façade en planches de bois et enduits pigmentés, à Kavala, ville historique ottomane en Grèce / La confection de parois tressées en Indonésie / La construction d'abris surélevés tout en bois, épargnés des rongeurs et de l'humidité en Géorgie ou en Turquie. Ces exemples reflètent les savoir-faire séculaire de l'homme, adaptés aux ressources naturelles locales.



Au début de l'été, au Kirghizistan, les familles aidées de leurs proches montent leurs yourtes dans les prairies d'altitude, pour y surveiller leur troupeau de bétails (chevaux, moutons, chèvres) et vendre sur le bord des routes leur production de produits laitiers. Un cour d'eau vive n'est jamais très loin.



Ces techniques en perte de vitesse revêtent pourtant des dimensions humaines cruciales et bénéfiques pour la société : « faire sa maison ou y participer » plutôt que de faire faire ; s’entraider plutôt que d’utiliser des moyens techniques coûteux. Construire devient une source de développement personnel et pour la communauté, et un enseignement à transmettre pour in fine participer à l’établissement d’une identité sociale.



Faire le pain à la maison avec les enfants dans le holzofen qui sert également de zone de jeux ! Chose qui ne sera jamais faisable avec un radiateur électrique ! Quelques bûches et c'est parti pour plusieurs jours de chaleur douce diffusée lentement dans la pièce à vivre ! Celle-ci monte alors rapidement en température grâce au parement bois à faible inertie thermique.


Réalisation de cordage à base de laine sur le plateau du Pamir au Tadjikistan

Villages en terre crue en Asie centrale confection de briques de terre crue au Pérou et en Iran.

A Batad, même si la charpente demande un savoir-faire qui se monnaye, la collecte des matériaux est faite avec l’aide de la communauté ; un système travail contre travail régi l’entraide entre les villageois.

VOYAGE ET HABITAT


D’un coté, nos voyages respectifs, au rythme lent et continu, nous permettent d’observer les transitions architecturales d’une région à l’autre. Celles-ci sont plutôt lentes et progressives à mesure que la géographie et le climat évoluent.


D’un autre côté, avec une certaine prise de hauteur, nous réalisons aussi avec étonnement, que de fortes similitudes de formes ou de structure ou encore d’emploi de matériaux existent parfois entre deux types d’habitations pourtant éloignées de plusieurs milliers de kilomètres.


Les maisons chipaya en Bolivie, formant de véritables igloo de terre crue, présentent des ressemblances frappantes avec les petites maisons kazakhes circulaires en terre crue, situées en plaine chinoise entre Altaï et Tian-shan…ou encore avec certains abris de la Grèce antique !

De la même façon, les maisons à pans de bois et colombages avec remplissage souvent de torchis mais aussi de cailloux ou bien de briques que l’on retrouve en France, en Turquie et en Ouzbékistan !


Ces similarités s’expliquent-t-elles par des climats et environnements similaires ? Ou bien par des raisons historiques ?


Autant de questions auxquelles les réponses ne sont pas systématiquement évidentes d’autant plus qu’il n’est pas rare de tomber sur des contre exemples : d’une île indonésienne à une autre, les formes architecturales et les agencements intérieurs peuvent être radicalement différents. Climat, géographie et ressources locales, ne sont pas les uniques moteurs d’une architecture donnée.


Les caractéristiques des habitats relèvent également des traditions des habitants ainsi que de l’histoire et de l’époque de sédentarisation de leurs ancêtres. L’interprétation du bâti fait alors autant appel au champ anthropologique qu’à celui de la science du bâtiment.




Nous constatons que les tadjiks luttent contre les infiltrations d’air alors que dans le Nord mongol aux hivers extrêmes, les constructeurs des habitats en bois ne s’en soucient guère…




Les « pourquoi ? » fourmillent alors dans nos têtes et il est parfois compliqué d’obtenir une réponse fiable auprès de la population : la connaissance de traditions tombées dans l’oubli nous bloque parfois quand ce n’est pas la barrière de la langue.



Ici en Iran : Simon est en plein travail d'étude d'une maison en terre crue au sein d'un village fortifié du désert tandis que Vincent questionne longuement un architecte de Yazd.




UN PREMIER BILAN

Nous avons largement constaté que l’architecture vernaculaire présente des caractéristiques remarquables en vue de faire face aux contraintes climatiques mais aussi à une économie nécessaire de transports, de matériaux et d’énergie. En somme tout ce que nous recherchons aujourd’hui dans le domaine de la construction durable.


Mais plus que cela, le bâti traditionnel témoigne et contribue à l’identité et à la richesse socio-culturelle d’une région. Nos regards de voyageurs en retiennent une diversité et un charme dont les acteurs du bâtiment de notre époque pourraient - sans retenue - s’inspirer pour éviter les écueils d’une architecture uniformisée et standardisée.


Si parfois les constructions modernes s’inspirent à première vue de certaines formes architecturales ancestrales, comme en témoignent les similarités entre vieilles konak turques et nouvelle villa, ou entre chalet moderne et vieille ferme alpine, l’emploi nouveau de matériaux modernes en lieu et place de matériaux locaux et, surtout, l’oubli total des atouts de l’urbanisme de villages remplacé par un urbanisme tourné vers la voiture, empêchent aux constructions et aménagements néo-traditionnels de retrouver les qualités des habitations d’antan.

Turquie, konak traditionnelle en mur à ossature et parement bois ET habitation moderne en poteau/poutre béton et remplissage briques cuites. Les formes, proportions et principe structurel sont similaires, mais les matériaux employés diffèrent totalement. Si les détails et les formes sont globalement respectées, les matériaux et savoir faire traditionnels ne sont pas conservés. On ne peut alors plus parler d'architecure vernaculaire.


En Turquie, le long de la mer Noire, la traversée de nombreux villages nous permet de multiples observations. Ici, on compare facilement une vieille maison turque non rénovée et sa 'jumelle' neuve et toute parée de bois aux couleurs vives. Pourquoi ne pas avoir rénové l'ancienne ?


Au regard de certaines hérésies modernes (ci-après) il est clair que le respect à minima des formes traditionnelles est un moindre mal dont on ne peut pas trop se plaindre.

Ne serait-il pas temps d’apprendre aux jeunes générations non seulement comment l’on construisait dans le passé, mais aussi pourquoi ?

Au-delà des formes et de l’emploi de matériaux bio-sourcés « eco-friendly », nous pensons que c’est un questionnement et une éthique architecturale qu’il serait intéressant de retrouver.

Les beautés du modernisme architecturale extravagant de Batumi en Géorgie.

RESTAURER CHEZ NOUS POUR PRESERVER LA-BAS


Le mode de vie à l’occidentale est partout pris en exemple, symbole d’ascension sociale et synonyme de développement réussi. Les maisons, fermes et de villages laissés à l’abandon, ou détruits en vue de bâtir des immeubles, ou encore outrageusement rénovés puis convertis en attractions touristiques, furent ô combien nombreuses le long des routes que nous avons empruntées.


Le patrimoine bâti en lui-même mais également les savoir-faire, les métiers se perdent progressivement.


Au Kosovo, village privé moderne d'influence "copié-collé" et village ancien à l'abandon.


Suite à ces voyages, il nous apparait clairement que les erreurs « court-termistes » commises en Occident au cours des décénies d'après-guerre sont actuellement répétées dans les pays dits en développement : croissance rapide, constructions de grosses infrastructures, consumérisme, gains rapides, destruction de la société passée, de l'urbanisme passé, du patrimoine ancien... Nous n’avons eu de cesse de nous interroger sur les raisons de ce problème au cours de nos pérégrinations.

Si le manque de démocratie et les individualismes privés ou étatiques - chacun souhaitant se développer comme bon il lui semble sans être entravé dans sa quête de 'progrès' - expliquent en partie ce triste phénomène, le fait que des associations de défense du patrimoine ancien, telles que Maisons Paysannes de France, soient peu entendues quand elle ne sont pas inexistantes, est une explication complémentaire.


Magnifique village en terre crue abandonné au profit d'un village récent en bordure de la nationale, en Iran / Maisons traditionnelle en vente à Bali en Indonésie.



Le combat mené par Maisons Paysannes de France et ses pairs, nous apparait de ce fait primordial non seulement pour le patrimoine français mais aussi pour le patrimoine international. Si rien n’est fait ici, c’est aussi là-bas que les savoir-faire vont être oubliés ou dénaturés, car il faut garder en mémoire que ce qui est fait chez nous est de plus en plus observé !


Ne laisser tomber ces trésors ni dans l’oubli ni dans la folklorisation touristique induite par la mondialisation et les aberrations du modernisme est une preuve de discernement et de sagesse, face aux écueils du gain rapide et facile et de la course au progrès, à commencer par ici !


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