top of page

DE L’ÉMOTION AU PASSAGE DES FRONTIÈRES

De l’émotion suscitée par le passage d’une frontière


Les traversées de frontières terrestres s’inscrivent dans nos mémoires comme jamais un atterrissage en avion à l’étranger n’a pu le faire auparavant. A chaque fois, cela ne loupe pas, c’est un moment fort, notre moral se regonfle, et nous pédalons pensifs et plutôt joyeux, quand bien même nous en ayons déjà franchi une peu de jours auparavant comme cela arrive souvent dans les Balkans, constellation de petits pays. Ces frontières qui s’égrainent au fil de notre voyage marque notre progression. Elles nous donnent l’impression de faire à chaque fois un pas de plus vers la Chine ! Et pourtant, aux portes de la Turquie, nous en sommes déjà à 12 pays dans le rétroviseur, sur les 23 que nous comptons découvrir, mais à moins d’un quart du parcours !


Lors des passages de frontières, les pensées et émotions se bousculent dans nos têtes, et pourtant nous ne parlons pas trop. Tous comme tous ceux qui, à nos côtés dans les files d’attente, souhaitent passer d’un côté à l’autre, nous préférons faire profil bas devant les douaniers aux mines patibulaires et nous concentrer sur les démarches à entreprendre pour que cela se finisse au plus vite.


Ce n’est qu’avant ou après le poste frontière que les discussions vont bon train pour partager toutes ces émotions entre nous ! Nous dressons souvent le petit bilan de notre avancée, nous évoquons le séjour passé dans le pays précédent, nous remarquons tous les nouveaux petits détails du pays à venir, à commencer par la langue, les panneaux de signalisation, la monnaie, la tête des gens, l’état des routes, l’allure des bâtiments !


Certains passages de frontière sont plus marquants que d’autres. Lorsque nous quittons la France pour la Suisse, en réussissant à nous perdre pour nous retrouver en Allemagne ; lorsque nous traversons l’Evros marquant la fin de l’Europe et l’entrée en Turquie ; lorsque nous pénétrons dans ce pays mal connu qu’est l’Iran ; lorsque nous quittons la dictature stressante du Turkménistan où Simon a connu quelques déboires ; lorsque nous parvenons en Chine ; en enfin en Mongolie, dernier pays visité. Ce sont des moments très forts émotionnellement car ils symbolisent des pages qui se tournent, la concrétisation réussie d’un projet jusqu’alors écrit sur le papier. N’en déplaise aux caméras frontalière et au shérif gendarme de l’ambassade de France en Iran, nous sortons systématiquement l’appareil photo pour immortaliser le moment !


« Ça y est, on est en Iran, Jack ! »



Pourtant, traverser une frontière, cela n’a en réalité rien de très sympathique. On ne s’y fend pas la poire dans ces espèces de zones bardées de grillages et de guérites de surveillances, à l’air empli de fumées des pots d’échappement de camions. L’atmosphère y est quelque peu pesante. Les douaniers, pour quelques-uns biens armés, y sont les rois. Peu serviables, usant de leur petit pouvoir pour imposer parfois une certaine pression psychologique. Nos passeports circulent entre les mains, nos vélos sont scrutés avec étonnement parfois, nos sacoches sont fouillées, rarement consciencieusement, tant leur odeur et leur contenu peuvent parfois rebuter au premier abord.


Certaines zones frontalières sont plus remarquables que d’autres.

Celle entre la Grèce et la Turquie est assez impressionnante. Nous parvenons de nuit dans cette immense zone protégée de barbelés, à cheval sur les deux rives de l’Evros. L’ensemble est froid, plutôt sombre, seulement éclairé de spots à la lumière criarde, bruyant de la foule de véhicules et de camions. Côté turc, l’armée est omniprésente, ça grouille de jeunes soldats. L’effervescence du lieu, le nombre de drapeaux, la taille des infrastructures annoncent l’entrée d’un grand pays. On se sent un peu perdu au milieu de cette zone quelque peu déshumanisée, avec nos vélos et nos bardas. Les check-points sont nombreux. On se demande quelle est la fonction de chacun, lorsque nous y soumettons nos passeports. Mais enfin nous en sortons facilement, avec dans nos papiers, notre premier vrai visa ! Ça y est, nous sommes en Turquie en ce Samedi 29 Novembre 2014.



A l’inverse, perché en altitude, perdu au milieu de nul part, les postes frontières entre Tadjikistan et Kirghizistan, distants l’un de l’autre de 20km de no man’s land, donnent l’impression d’être aux confins du monde. Pas une personne ne rodent dans les parages, à part les quelques douaniers et soldats en poste, qui restent bien au chaud dans leur petite pièce chauffée. Il faut frapper au carreau pour signaler notre présence. Les infrastructures sont vieillissantes. Côté tadjik, le seul bâtiment neuf de fouille des bagages, financé par les pays occidentaux pour limiter le trafic de drogues, n’est pas ouvert ! Côté kirghize, on ne nous fouille pas non plus. Et fait sympathique qui donne le sourire, l’armoire du chef du ‘custom control’ est recouverte de stickers de voyageurs !



Les passages de frontières les moins plaisants – c’est un euphémisme – sont la sortie de l’Azerbaïdjan, l’entrée au Turkménistan et celle en Ouzbékistan.


Comme cela ne loupe pratiquement jamais à chaque passage de frontière, les douaniers restent éberlués par la non ressemblance entre la photo de Vincent dans le passeport, où il apparait cheveux long et sans moustache, et son visage du moment, cheveux court et petit bouc. La plupart du temps ils le prennent pour une femme sur la photo. Pour sortir de l’Azerbaïdjan, qui ne nous laisse pas un souvenir fou par ailleurs, Vincent a de nouveau droit d’être longuement dévisagé par tous les douaniers entre les mains desquelles passent nos passeports. Alors que nous sommes sur le point de quitter le pays, que nous avons l’impression d’avoir passé tous les contrôles – un contrôle signifie parfois présenter son passeport à n’importe quel soldat qui se balade dans le secteur – le dernier douanier responsable de la dernière grille avant le poste frontière iranien reste davantage circonspect que la moyenne à l’analyse de la photo de passeport de Vincent. Il nous demande alors de faire demi-tour et de le suivre. La scène qui survient est alors digne d’une bonne comédie de Louis de Funès. Le douanier en possession de nos passeports les tend à un autre qui semble plus gradé que les autres. Quelques hommes en uniformes verts se rassemblent autour du chef petit, par la taille. Ce dernier tend alors le passeport de Vincent devant ces yeux puis le scrute avec gravité tantôt Vincent tantôt sa photo du passeport. Les autres hommes faisant de même derrière ses épaules, Vincent ne peut s’empêcher de rire et de mimer le fait que par le passé il avait les cheveux long. Il se fait alors reprendre par la gravité du chef, qui cherche réellement à savoir si le passeport n’est pas un faux. « Mais merde ! on veut juste quitter ton pays, tu vas pas me faire c*** pour partir alors que je suis rentré sans problème, si ? » Cette phrase, Vincent la garde en lui mais c’est faute de ne pas pouvoir la traduire en turc…il faut sourire, faire le naïf et…serrer les dents en se disant qu’on représente juste une occasion pour eux de passer le temps. Après quelques minutes, et quelques questions banales, on nous laisse repartir et franchir enfin la grille, direction l’Iran…où les contrôles se passeront, à notre grand étonnement, le plus facilement du monde !


Vers la mi-Avril 2015, nous parvenons à la frontière irano-turkmène en début d’après-midi. Malgré la présence de dizaines de soldats en uniformes des plus kitsch, de kilomètres de barbelés bien plantés, de guérites menaçantes à perte de vue alignées le long d’un no man’s land bien marqué, le reste n’est qu’un joyeux bazar !


La route pour accéder au poste frontière turkmène est complètement défoncée. Une fois parvenus au bâtiment de check-point, l’organisation nous semble parfaitement anarchique. Sans trop rien comprendre, perdus là au milieu d’une foule, nous nous retrouvons tout d’abord dans un cabinet de médecin, devant laisser derrière nous avec inquiétude vélos et affaires sous la surveillance d’un jeune soldat. Le médecin, occupé au téléphone, n’étudie en rien notre santé mais nous délivre un tampon sur un petit papier. Puis, nous comprenons tant bien que mal qu’il nous faut ensuite payer une sorte de taxe de passage, afin de passer à l’étape suivante. En plus du visa chèrement payé à l’ambassade en Iran c’est un scandale ! Pire, cette taxe est étonnamment plus élevée pour nous que pour les autres personnes nous entourant. Cela frise le vol qualifié et mets nos nerfs à vif. Nous rajoutons donc de la zizanie à la zizanie ambiante…. Vincent, piqué au vif, décidé à en découdre, demande avec véhémence en s’adressant à un douanier parlant un peu l’anglais la raison de cette taxe et surtout pourquoi est-elle plus onéreuse pour nous que pour les autres personnes.

On nous explique qu’en tant qu’occidentaux, le prix n’est pas le même ! Du racket en somme, puis Vincent se calme et se reprend car le jeu n’en vaut pas la chandelle, tout ce qu'on veut c'est sortir d'ici, ou plutôt rentrer...


Enfin, d’autres énergumènes de douaniers, dont une parlant un peu le français, fouillent nos affaires une à une puis à travers les rayons X. Nous stressons un peu car les médicaments sont des données sensibles dans ce pays et nous faisons mine de ne pas en avoir alors qu’une sacoche de Vincent en est remplie. La respiration détendue et les sourirs les plus naturels possibles sont alors primordiaux pour ne pas laisser transparaitre le stress associé à un éventuelle idée d’une geôle turkmène…

Fort heureusement, alors à 8 mois de voyage, nous avons appris à connaitres nos interlocuteurs frontaliers : ils ont la flemme. Tous les objets sensibles, nous les mettons dans les sacs de Vincent et Simon passe en premier pour se faire fouiller. C'est alors qu'il joue le naïf, prend tout son temps pour défaire son bardard et sortir une par une toutes ses affaires. Toile de tente, caleçons, serviette, sac de couchage, bâche, sac de linge sale, doudounne, tout y passe, le tout très lentement, demandant à chaque objet si "it' ok ?"

Une fois les affaires de simon bien fouillées, c'est Vincent qui débarque avec tout autant de sac, le douanier est alors trop blasé et ce dit que ça va encore lui prendre 15min de fouille pour rien. Vincent n'est alors rarement inquiété et les douanier le laisse filer sans réelle fouille.

Ainsi, ici aussi, malgré notre scandale et le stress de violer sans le vouloir une règle à la con de cette dictature, ils nous autorisent finalement à ressortir de ce bordel…avec quelques cheveux blancs et les yeux presque rouges de colère. La fin de journée au beau milieu d’un désert de buissons et de coquelicots calmera heureusement nos esprits.


Au poste frontière ouzbek, déjà bien éreintés par notre traversée de la dictature turkmène, nous ne souhaitons qu’une chose, que cela se passe tranquillement. C’est le cas. Mais ce qui use nerveusement et surtout dérange, ce n’est pas la mauvaise organisation ou le stress induit par les douaniers, mais leurs questions.


« Êtes-vous homosexuels ? »

« Avez-vous déjà séjourné en Hollande ? »

« Montrez nous les photos contenus sur votre téléphone »


Loin de nous inquiéter personnellement, ces questions plutôt nous stupéfient et ne nous donnent pas une première impression sympathique du pays dans lequel nous nous apprêtons à séjourner une vingtaine de jours. Ce ressenti négatif persistera par la suite, en particulier pour Vincent qui s’y fera heurté, sans trop de séquelles, par un criminel de la route !



Dans un long périple comme celui là, on se fait vite à l’idée que les douaniers, à l’instar des chauffeurs de bus, représentent une espèce du genre humain, si l’on ose employer cette expression, qui ne laisse pas indifférent (là aussi c’est un euphémisme).


Néanmoins, il n’est pas possible de finir ce petit billet sur les frontières et les douaniers sans évoquer le cas des chinois ! A l’entrée, et plus encore à la sortie de l’Empire du milieu, nous découvrons enfin qu’il existe des douaniers courtois, efficaces, voire sympathiques ! Les postes de douane chinois, voués à devenir de véritables portes d’entrée de centres commerciaux transfrontaliers, sont ultramodernes, agrémenté d’un duty free, dotés d’une bonne signalétique, de portiques de sécurité à rayon X. Cela nous évite d’ailleurs d’avoir à vider nos sacoches sur une table comme c’est le cas à de nombreuses autres frontières et rend le contrôle plus efficace. En effet, la seule chose dans nos bardas qui peut ressembler de loin à une arme est notre pompe à eau. Pas un douanier auparavant ne l’a remarqué. Les chinois si. Ils nous demandent alors gentiment de leur expliquer le fonctionnement de notre pompe Katadyn et puis, le mystère dissipé, puisque la discussion est entamée, tant qu’à faire, nous invitent poliment à venir manger de la pastèque dans un petit salon et, sur notre demande, nous donnent le code d’accès à la wifi ! Tout simplement incroyable !



Le franchissement des frontières terrestres, exige sang froid, raison et calculs (on exagère un peu). C’est définitivement une belle affaire qui nous laisse un paquet de souvenirs, souvent négatifs, parfois sympathiques !

AUTRES ACTUALITES
bottom of page